PFAS : de quoi parle-t-on exactement ?
Les PFAS, ou substances per- et polyfluoroalkylées, sont un groupe de plus de 4 700 composés chimiques synthétiques. Utilisés depuis les années 1950 pour leurs propriétés antiadhésives, hydrofuges et résistantes à la chaleur, on les retrouve dans une grande variété de produits du quotidien : emballages alimentaires, textiles imperméables, cosmétiques, mousses anti-incendie, et bien d’autres encore.
Leur point commun ? Une résistance extrême à la dégradation naturelle. D’où leur surnom de « polluants éternels ». Une fois relâchés dans l’environnement, ils s’accumulent dans les sols, les nappes phréatiques, les rivières, et inévitablement… dans l’eau que nous buvons.
Une présence désormais détectable dans les eaux suisses
La Suisse, bien que peu industrialisée par rapport à d’autres pays, n’est pas épargnée. Depuis quelques années, les premières analyses systématiques ont commencé à révéler la présence de PFAS dans certaines sources d’eau potable du pays. Parmi les cantons les plus concernés figurent Zurich, Berne, Vaud et Genève, avec des concentrations qui, bien que variables, interpellent les autorités sanitaires.
En mars 2023, le canton de Vaud a lancé une campagne de mesures sur plus de 300 points d’eau. Résultat ? Près de 15 % des échantillons contenaient des PFAS détectables, parfois à des niveaux considérés comme préoccupants par les normes européennes. À ce jour, la Suisse ne dispose pas encore d’un seuil réglementaire contraignant pour l’ensemble des PFAS, ce qui complique la prise de décision pour les communes concernées.
Quels sont les risques pour la santé ?
Les PFAS s’accumulent progressivement dans l’organisme. Or, des études scientifiques de plus en plus nombreuses établissent leur lien avec plusieurs problèmes de santé :
- augmentation du taux de cholestérol,
- dérèglement du système immunitaire,
- retards de développement chez les enfants,
- troubles hormonaux,
- augmentation du risque de certains cancers (reins, testicules).
L’OMS elle-même a reconnu en 2021 que certains PFAS représentent un « risque pour la santé humaine ». Même à faibles doses, leur impact chronique inquiète, surtout en l’absence d’un effet seuil clairement identifiable.
Une réglementation encore lacunaire en Suisse
Alors que l’Union européenne renforce progressivement sa législation pour limiter, voire interdire certains PFAS, la Suisse peine à suivre le rythme. À ce jour, seuls quelques composés sont réglementés, comme le PFOS et le PFOA, tandis que la majorité des autres restent en circulation.
En avril 2024, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) a néanmoins publié un rapport recommandant une révision de l’ordonnance sur la protection des eaux. Un seuil indicatif de 100 ng/L pour la somme de 20 PFAS a été proposé, ce qui pourrait servir de base à une future réglementation nationale. Mais pour le moment, rien d’obligatoire n’est encore en place.
Un exemple concret : le cas de Val-de-Travers
Au printemps dernier, lors d’une randonnée dans le Val-de-Travers, j’ai croisé un technicien en train de prélever de l’eau à une fontaine communale. Curieux, je l’ai abordé. Il travaillait pour l’Inspection cantonale des eaux et menait une série de tests sur la qualité de l’eau après la découverte de PFAS en amont de la source.
Dans cette petite commune, la présence de PFAS provenait très probablement d’un ancien site industriel fermé depuis plus de 10 ans. Pourtant, les composés persistent. Le captage a été fermé temporairement, et un forage de secours mis en service. La commune a dû expliquer la situation à ses 1 800 habitants, pas toujours rassurés de boire une eau « à risque » même si les taux restaient en dessous des seuils européens.
Quelles solutions pour les communes et les citoyens ?
Face à cette problématique complexe, plusieurs pistes d’action se dégagent :
- Surveillance accrue : Installer des stations de mesure plus systématiques dans les zones sensibles, notamment près des anciens sites industriels ou des aérodromes, souvent fortement contaminés.
- Traitement de l’eau : Les technologies existent – comme les filtres à charbon actif ou l’osmose inverse – mais elles restent coûteuses pour les petites collectivités. Leur mise en place nécessite une volonté politique claire et des budgets adaptés.
- Prévention à la source : Interdire progressivement l’usage des PFAS dans les produits non essentiels, et mieux contrôler les rejets industriels.
- Information du public : Sensibiliser les habitants sans créer de panique, en expliquant les mesures prises et les éventuels seuils de vigilance.
On peut aussi agir à titre individuel. Par exemple, en utilisant un filtre à eau domestique certifié pour les PFAS si l’on habite dans une zone jugée à risque. Et surtout, rester attentif aux relevés de qualité d’eau transmis par sa commune.
Des signaux faibles, mais qui ne trompent pas
Lors d’un entretien avec un ingénieur de l’EPFL spécialisé en hydrologie, celui-ci m’a confié : « Ce n’est pas une question de savoir si les PFAS posent problème, mais à quelle vitesse on décide de s’en préoccuper sérieusement ». Avec l’accélération des recherches et les moyens techniques dont on dispose, il serait regrettable de retarder davantage une réaction nationale cohérente.
Certains cantons n’attendent pas. À Genève, une cartographie des zones à haut risque de contamination a déjà été dressée. Plusieurs puits ont été rénovés, d’autres, purement et simplement fermés. À Zurich, un pilote de station de purification est en test depuis fin 2023, avec des premiers résultats prometteurs.
Et chez nous, dans le Jura vaudois ?
Sur le terrain, peu de données encore. Mais l’OFEV recommande de surveiller les zones proches d’anciennes casernes ou aéroports, où des mousses anti-incendies à base de PFAS ont été utilisées. À Vallorbe, par exemple, une réévaluation du réseau de captage est prévue d’ici fin 2024. Une initiative que les habitants, interrogés lors du marché hebdomadaire, accueillent favorablement – à défaut d’être totalement rassurés.
Il faudra aussi que nos élus locaux s’emparent du sujet, notamment dans les cercles intercommunaux de gestion de l’eau. Parce que c’est bien là que tout se joue : à l’interface entre les données scientifiques, les contraintes techniques, et la responsabilité politique.
Vers un nouveau modèle de gestion de l’eau
L’affaire des PFAS rappelle une évidence souvent enjambée : l’eau potable est une ressource précieuse, mais aussi vulnérable. Sa gestion ne peut plus se contenter d’un suivi a minima. Face à des polluants émergents quasi indestructibles, il faut repenser notre approche :
- passer d’une logique réactive à une culture de la prévention,
- mieux financer les infrastructures de filtration,
- intégrer davantage les préoccupations environnementales dans les politiques d’urbanisme,
- et surtout, anticiper les risques à l’échelle régionale, en impliquant toutes les parties prenantes.
Parce que lorsqu’il devient nécessaire de fermer un captage pour cause de pollution, il est déjà trop tard. Préserver notre eau, c’est protéger notre santé, notre territoire, et notre autonomie. Dans notre Jura vaudois comme ailleurs, ce combat ne fait que commencer. Mais mieux vaut l’entamer aujourd’hui que le subir demain.